Quand on dirige une boîte, on passe son temps à jongler entre agilité et conformité. On veut des experts pointus, vite opérationnels, mais sans forcément alourdir la structure avec de nouveaux contrats de travail. Le portage salarial est né pour répondre à ce besoin : il offre la souplesse d’un indépendant et la sécurité d’un salarié. Mais ce n’est pas une baguette magique. Derrière le discours rassurant, il y a une convention collective stricte, des règles à suivre, et quelques chausse-trappes à anticiper.
Le principe est simple : un consultant trouve une mission, la société de portage signe le contrat avec le client, facture, encaisse et transforme le chiffre d’affaires en salaire pour le porté. Côté employeur, c’est transparent : vous payez une facture, pas une fiche de paie. Mais cette simplicité apparente cache un cadre légal bien précis. Depuis 2017, le portage salarial est encadré par une convention collective dédiée. Elle fixe les droits des salariés portés, mais aussi vos obligations en tant que client. Autrement dit, vous ne pouvez pas jouer avec comme avec un simple contrat de prestation.
Un exemple concret : si vous faites appel à un consultant en cybersécurité via une société de portage, vous ne pouvez pas lui demander de respecter les mêmes horaires que vos salariés, ni l’intégrer dans vos process internes comme un CDI déguisé. Le risque ? Une requalification du contrat en salariat direct. Et là, c’est l’URSSAF qui s’invite dans la danse, avec cotisations à rattraper, pénalités et, parfois, redressement massif. Ce n’est pas un détail : certaines startups qui pensaient “jouer malin” avec le portage ont fini par payer le prix fort.
La convention collective : garde-fou ou carcan ?
La convention collective du portage salarial impose un socle minimum : un salaire de base, une réserve financière de 10 % pour sécuriser le porté en cas de creux, et une protection sociale alignée sur le régime général. Pour vous, employeur, cela veut dire que la facture inclut mécaniquement ces coûts. Ce n’est pas négociable. Là où un freelance en micro-entreprise peut tirer ses prix vers le bas, le porté a un plancher incompressible.
On pourrait se dire que c’est une contrainte. En réalité, c’est aussi une assurance. Vous avez face à vous un professionnel qui dispose d’un cadre clair, d’assurances obligatoires (notamment la responsabilité civile professionnelle) et de droits sociaux. Pas de zone grise, pas de bricolage. C’est plus cher que de travailler avec un micro-entrepreneur, mais vous réduisez drastiquement le risque juridique.
Certains employeurs comparent le portage à une forme d’assurance tous risques : vous payez un peu plus, mais vous évitez les mauvaises surprises. Quand un projet critique repose sur un expert externe, la différence entre facture et redressement URSSAF peut se compter en dizaines de milliers d’euros.
Les points de vigilance pour un patron
Premier réflexe : ne confondez pas portage salarial et sous-traitance classique. Dans un contrat de sous-traitance, vous avez affaire à une société qui vous livre une prestation globale. Dans le portage, vous payez le temps et les compétences d’une personne. La nuance est subtile mais essentielle. Vous ne pouvez pas piloter le consultant comme un salarié, ni lui imposer un lien hiérarchique.
Deuxième vigilance : la transparence des coûts. Une facture de portage inclut le salaire brut du porté, les charges patronales, les frais de gestion de la société de portage, et parfois des cotisations spécifiques. Si vous comparez ça à un TJM freelance en micro-entreprise, vous allez avoir l’impression de payer 20 à 30 % de plus. Mais cette différence est la contrepartie d’une couverture sociale complète et d’un cadre légal sécurisé.
Troisième vigilance : la durée. Le portage salarial est conçu pour des missions ponctuelles ou de moyenne durée. Si vous avez un consultant présent à temps plein pendant deux ans dans vos bureaux, la frontière avec le salariat direct devient ténue. Les juges ne se fient pas aux contrats, mais à la réalité de la relation de travail. Si le consultant pointe, reçoit des ordres directs et suit vos horaires, vous êtes en risque.
Le portage, outil stratégique de recrutement
Il faut aussi voir le portage comme un outil stratégique. Beaucoup d’entreprises l’utilisent comme période d’essai grandeur nature. Vous travaillez avec un expert en mode porté pendant six mois ; si la collaboration fonctionne, vous pouvez lui proposer un CDI. Cela évite de recruter trop vite et de se retrouver coincé avec un profil qui ne colle pas.
Dans certains secteurs, c’est même devenu un argument d’attractivité. Les consultants expérimentés préfèrent parfois le portage à la micro-entreprise, car ils bénéficient de la protection sociale sans se soucier de l’administratif. Pour un patron, c’est l’occasion de sécuriser des talents qui, autrement, auraient refusé une mission en freelance.
Un exemple : une PME industrielle a eu besoin d’un expert en supply chain pour un projet stratégique. Le profil visé ne voulait pas devenir indépendant, mais ne souhaitait pas non plus un CDI. Le portage a permis de débloquer la situation : l’entreprise a eu son expert, le consultant a eu son salaire et sa couverture sociale, et tout le monde a pu avancer.
Entre liberté et cadre légal
Le portage salarial est donc un compromis. Il permet d’accéder à des compétences de haut niveau, de manière souple, mais dans un cadre balisé. C’est une liberté sous surveillance : liberté pour vous de faire appel à des experts sans alourdir vos effectifs, mais surveillance de la convention collective qui impose ses règles.
C’est là que la comparaison avec d’autres statuts devient utile. Un freelance en micro-entreprise est plus flexible et moins coûteux, mais il vous expose à plus de risques. Une ESN (Entreprise de Services du Numérique) facture cher et impose ses process, mais elle prend toute la responsabilité juridique. Le portage se situe entre les deux : plus sûr qu’un micro, plus souple qu’une ESN.
Pour en savoir plus
Pour un patron, le vrai enjeu est de comprendre que le portage salarial n’est pas seulement une solution RH, mais une mécanique encadrée par une convention collective spécifique. Elle fixe des obligations, mais elle protège aussi. Avant de signer, il est crucial de lire les conditions, de comprendre les coûts réels et de vérifier que la mission envisagée entre bien dans le cadre du portage.
La convention collective du portage salarial détaille précisément ces points : en savoir plus.